Protokools confinés – 2

RITUELS CONFINES

– inventer le nom d’un rituel domestique, passer à sa voisine

– décrire le matériel, le lieu, les conditions de réalisation du rituel, passer à sa voisine

– décrire le rituel

La grille

Pour réaliser le rituel de la grille, il faut du papier kraft, du scotch transparent, de la feutrine, de la graisse animale, des marqueurs à eau (noir ou bleu), une robe monochrome qui couvre les bras jusqu’aux poignets, les jambes jusqu’aux genous. Il faut attendre le soir et sortir discrètement de la pièce dans laquelle on se trouve. S’il n’y a qu’une seule pièce, au aura soin d’évider un poulet, un pigeon, ou tout petit animal se trouvant à portée. Qu’il y ait ou non une seconde pièce, on prendra soin de nettoyer le sol de l’endroit où l’on se trouve au commencement de ce rituel. Faute de quoi, les conséquences ! On prendra tout d’abord la robe, qu’on jaugera d’une regard comme s’il s’agissait d’une bête de foire, oui, une épaisse bête de foire à fourrure. On imaginera cette bête de foire à fourrure plus grande que la robe car il faut toujours qu’il y ait du mou, du jeu. On prendra soin d’être dans le jeu, le mou. On commencera par graisser l’intérieur de la robe. Si l’on a sacrifié un petit animal pour se donner une seconde pièce, on attachera la tête décharnée du petit animal au col de la robe, au moyen d’un instrument tranchant ou de sa simple volonté. Oui, parfois, la volonté seule suffit à attacher des crânes à des cols. On franchira à trois reprise ce col. Adret, ubac, adret. On prendra soin de ne jamais le franchir une quatrième fois. Ensuite, par le plus grand des hasards, on choisira un nom pour cette robe graissée. Ce nom pourra être Triplette ou Sentiment vaseux de la lune après emploi, ou Bisou. On choisira ce nom par le plus pur des hasards. Une fois réunies la graisse, le hasard et la robe (avec ou sans tête, une robe sans tête fait aussi bien l’affaire lorsqu’on a plus d’une pièce à disposition) on passera trois fois la robe chargée de graisse et de nom. Une fois ôtée la troisième fois, on remplira la robe de feutrine jusqu’à ce qu’elle atteigne l’envergure satisfaisante d’une bête de foire à fourrure. Une fois remplie, on l’installera au sol, couchée

 sur le flanc car cette position s’appelle POSITION DE SECURITE et on lui dessinera un visage sans yeux. Si la robe est dotée d’une tête à l’encolure, on peut se passer de cette étape. Une fois la robe en position de sécurité, on se skotchera les paupières. On prendra soin de ne plus rien voir.

C’est ainsi qu’on franchit la grille.

La tenture triste

La tenture triste est un rituel populeux, bruyant et parfois surpeuplé : c’est un rituel qui appelle. Il est dangereux de se lancer dans cette tenture quand on est soi-même triste. Il n’y a pas de saison plus propice qu’une autre à sa réalisation. Tout ce qui peut entrer dans un frigo convient à sa réalisation. L’ananas, les Gummi Bärchen et le pot de yaourth. Le lait qui reste au fond d’une tasse en émail, prête à réchauffer sur la taque. Voici deux itérations possibles de la tenture triste. Ne pas réfléchir. Ouvrir le frigo et choisir une première itération. Fermer la porte. En choisir une seconde. Ensuite, et je veux dire par là aussitôt ensuite, plus d’une seconde serait déraisonnable voire dangereux, ensuite on oubliera le frigo de sorte qu’il ne sera plus là. Plus là le frigo, plus de glouglou ni de ronron, plus rien qui rappelle son existence froide. On oubliera le frigo et on s’efforcera d’être plusieurs. On se mettra torse nu et à plusieurs. On s’appellera d’un bout à l’autre de la pièce en étant plusieurs. On se dédoublera, se détriplera, se quadrulera. Une fois parvenu à 4 sois, on reculera d’un pas pour n’être plus que trois. Simultanément – la simultanéité est cruciale, tout décalage pernicieux – chacune des trois jètera dans un grand sac poubelle, un à un, tous les ingrédients. En jetant, on se lamentera. On se lamentera à trois voix mais en même temps – tout canon sera prohibé – de la disparition des ingrédients. Cette lamentation triste comportera trois étapes tristes : le deuil ; les louages ; le reproche. On veillera à ne jamais reprendre son souffle.Si on y est contraint pour des raisons de santé (oxygénation du cerveau, asthme, allergie au détergent) on comblera le vide ainsi constitué, le creux ainsi creusé dans les lamentations par des syllabes aléatoires qu’on prononcera en inspirant. La ! La ! Hi ! Hi ! Ce qui se passe ensuite vous surprendra. 

Rituel de l’autre porte pour sortir

Tu prends trois briques de légo rouges et tu vas aux toilettes.

S’il y a un loquet, ne le ferme pas. 

S’il y a une lumière, ne l’allume pas.

Ferme l’abattant et assieds-toi sur les toilettes. 

Prends le temps d’écouter les bruits : quand ta déglutition, ou l’air dans ton système digestif deviennent les sons les plus présents, le rituel commence.

Prends la première brique de légo dans ta main droite et dit à haute voix : « lundi mardi mercredi je ne suis pas sorti ». 

Jette la brique au loin.

Prends la deuxième brique de légo dans ta main droite et dit à haute voix : « jeudi vendredi samedi je ne suis pas sorti ». 

Jette la brique au loin.

Prends la dernière brique de légo dans ta main droite et dit à haute voix : « dimanche je ne suis pas sorti, dimanche je ne suis pas sorti. » 

Jette la brique au loin.

Prends le temps d’écouter les bruits : quand les bruits de voisinage, de tuyauterie, de circulation automobile ou de vie animale deviennent les sons les plus présents, le rituel s’achève. 

Cherche à tâtons les trois briques, prends les dans ta main droite.

La porte est ouverte : sors des toilettes.

Mon visage, ton visage

Un miroir, une corde, des souvenirs de vacances. Ce jour-là, tu ne ressembles pas à ton père. Tu viens de faire un peu de gym sur ton tapis. Fonctionne encore mieux la radio éteinte.

Prends le miroir et la corde, amène-les dans la pièce la plus lointaine, amène-les dans la pièce la mieux cachée, marche jusqu’à ce que tu sois confonté à un mur infranchissable, à une fenêtre haute ou à une porte donnant sur un espace public. Une fois parvenu au bout de chez toi, cherche la meilleure cachette, placard, dessus d’armoire, dessous de canapé, malle, boîte, coffre à jouet. Ranges-y le miroir, tain vers le bas. Mets-y la corde, roulée sur elle même comme une pelote serrée.

Cesse de penser à ces objets. Oublie que tu les as mis là. Oublie tes souvenirs de vacances, la lumière qu’il faisait ces jours-là, le souvenir de l’impression que t’ont laissé ces jours-là. Oublie que tu as initié le rituel. 

Le rituel se termine quand tu retrouves par hasard la corde, par hasard le miroir que tu avais caché, ou bien quand quelqu’un d’autre le fait après que tu sois parti.

Ton visage est devenu celui que tu imagines que tu possèdes. Il est celui que tu vois dans le miroir quand tu te regardes dans le miroir.